dimanche 2 mai 2010

Comment verdir sans se salir 1


Quelques conférenciers, dignitaires et signataires de la Déclaration de la collectivité de l’Île de Montréal en faveur de la biodiversité et du verdissement (téléchargeable ici)

Je vais tenter de faire une série (?) de billets donnant mes réflexions suite au Sommet sur la biodiversité et le verdissement de Montréal. Quelle entreprise! Je réfléchis et j’écris depuis quelques jours sur le sujet... par quel côté saisir la bête? Il faut bien que je partage avec vous mes idées: je l’ai annoncé sur mon Twitter et mon Facebook! Je suis pris! Le Sommet était à bien y penser énorme, complexe et... trop grand pour ma pauvre petite tête! ... à moins que la volonté des organisateurs de faire “complet” ait réduit d’autant la possibilité de le rendre “saisissable” ou peut-être même “utilisable”?  



le chaos verdit en plus diversifié que nous

Le titre est extraordinairement ambigu. Biodiversité ET verdissement? Ce sont deux choses distinctes? Peut-être veut-on, en les unissant ainsi, montrer les tensions entre deux approches mutuellement exclusives, et faire un titre qui swing? Conçoit-on, comme moi, que le verdissement soit aujourd’hui, de fait, un travail visant la biodiversité, en tant que ressource et habitat? Pourquoi? D’abord, nous sommes bien en 2010 Année internationale de la biodiversité... et ça me suffira pour l’instant! Ensuite: “Sommet”? Le problème avec “sommet” c’est l’annonce (presqu’avérée) que la base sera absente... sauf en tant que réceptrice du savoir venu d’en haut. C'est assez ordinaire... Je vais donc dans ce premier billet examiner et peut-être inverser la pyramide, l’air si rare des sommets, avec leurs parfums éthérés, c’est pour tout le monde. Je propose que l’on s’intéresse à la base nombreuse et grouillante... a-t-elle des idées? En cette année 2010, toute l’attention est sur la biodiversité en milieu urbain, avec les humains. Allons donc rencontrer les deux dans leur milieu.



Le vert de la santé et c’est aussi la couleur de l’argent.

Le verdissement n’a rien à voir avec la biodiversité urbaine. C’est un malentendu! Le verdissement, avec ses nombreuses connotations contemporaines, c’est n’importe quoi et son contraire. En premier lieu c’est le geste minimal découlant des préoccupations sanitaires urbaines du 19e siècle (nos parcs en sont les fossiles vivants). Le verdissement est alors ce qui coûte le moins cher en fait d’espace de “nature” et de ressourcement pour la plèbe. Des arbres sur pelouse c’est cela. Il y a bien sûr un gain vérifiable d’air moins pollué et d’ombre. Mais il ne faut pas oublier le revers intéressé: ces parcs sont une plus-value foncière obtenue à peu de frais. Du vert c’est bon mais faut pas que ça coûte trop cher! Il faut se rappeler qu’à Montréal ce sont souvent des dépotoirs comblés qui ont été transformé en parcs. C’est encore la logique minimaliste dans laquelle nous opérons. Les impératifs de la santé publique sont-ils une approche pertinente en matière d’espace vert? Oui... si la pauvreté biologique peut faire le travail, pourquoi en effet enrichir les espaces verts? C’est un vert de la teinte “Minima”... mais du vert!




Toute la maturité encore à gagner pour notre regard sur le vert: et la biodiversité?

L’enthousiasme euphorique de l’Expo’67 répandait son psychédélisme assagi en beau motif Paisley. Flower Power! En plasti bien souvent... Dans les années ’70 nous avons donc graduellement procédé à l’embellissement de nos villes par l’horticulture ornementale. Le milieu urbain faisait corps avec nos vêtements et nos idées fleuries. Dans nos têtes! C’est la grande époque des frigos vert Avocado. Les parcs sont devenus l’occasion de faire un peu plus vert en ville. L’entrée d’une ville, d’un village ou d’un parc est devenue un outil de promotion du “bien-vivre”. On a fait des concours d’embellissement. Le vert est maintenant Avocado et “fleuri”. Développeurs et taxeurs jardinent côte-à-côte. C’est cet à priori du “faire fleuri” comme signe du “bien-vivre” qui est gênant. C’est avec force d’insecticides, d’engrais de synthèse, d’espèces écologiquement inutiles, stériles ou exotiques, des hectolitres d’essences pour les tondeuses que l’on a fait du vert fleuri. L’horticulture ornementale sur ce point me laissera toujours perplexe. À quoi sert tout ce joli? Et d’où viennent ces idées du joli? Une pelouse ou une haie monospécifiques étaient (et sont encore) considérés comme des objets souhaitables, on met trois jonquilles devant et hop! ça fait joli. C’est plus mieux! Un désert biologique peut être vert, il peut aussi être coloré, fleuri et joli. Le désert a mille formes.




la biodiversité a horreur du désert urbain, et vous?

Il est fascinant de constater que le façadisme contagieux tant critiqué de l’architecture post-moderne des années ’80 (du post-moderne décoratif pas cher, s’entend...) soit en fait du même ordre que la logique qui mène encore nos choix en matière d’espace vert. Que ce soit dans l’espace public ou les toits verts, on fait du verdissement à valeur nulle en termes biologiques. On fait du façadisme vert maintenant fleuri! Du travail de surface. Nous n’avons guère bougé!  Avec la nouvelle agriculture urbaine on se fait un peu de salade et autres crudités, d’accord c’est sain, mais il y a du chemin à faire avant de mériter ici ou là l’utilisation du label “biodiversité” ou même paradoxalement “vert” comme l’a souligné Niels de Zwarte. Un très long chemin à faire... l’espace en est encore un de représentation pour les humains. Normal, me direz-vous. Insatisfaisant toutefois si vous voulez parler de biodiversité.

L’objet bicéphale du Sommet est trop complexe et mal appariée, c’est évident. Je viens de toucher légèrement quelques aspects discutés. Maintenant prenons directement, par le milieu du corps en terme d’échelle spatiale, la question de la biodiversité urbaine: qu’en est-il de cette diversité biologique dans nos quartiers?




le vert grignotant un peu le gris


Un espace vert comme un parc, même fleuri, est un facteur mineur dans la mesure de la biodiversité totale d’un quartier. Comment alors expliquer la biodiversité que l’on y observe néanmoins? Par la flore urbaine spontanée (comme ressource pour les insectes, oiseaux et petits mammifères) d’une part et, d’autre part, des représentations qui découlent des années ’60 et ‘70: le retour à la nature, l’écologie et l’intérêt pour les plantes indigènes. Ces facteurs comptent pour beaucoup dans le maintien d’une biodiversité dans nos villes. Voilà la base de la pyramide absente du Sommet, la masse de l’iceberg de la biodiversité urbaine: la somme des pratiques individuelles, amateures et citoyennes...

Il est par ailleurs assez perplexant de voir nos grands spécialistes parler de biodiversité sans tenir compte de la diversité des approches ou des échelles d’intervention des humains! Quel est le premier moteur de la biodiversité en milieu urbain à Montréal? L’effet cumulatif de la flore spontanée, des jardiniers curieux et des amateurs de papillons et d’oiseaux. Tout cela excède en valeur monétaire l’investissement des administrations! On en a pas parlé au Sommet.



à quelle échelle faut-il agir maintenant?

Si l’indice de Shannon (une des façons de mesurer la biodiversité) découle de la théorie de l’entropie il est peut-être temps que nos spécialistes et nos élus constatent les effets de la théorie du chaos: ça agit les petites gens! Si vous définissez l’écologie et mesurez  la biodiversité avec des modèles informatiques statistiques, essayez la chose suivante: dans l’arrondissement où j’habite retirez seulement les arbres fruitiers plantés par les résidents sur leur petits terrains. Puis faites rouler votre modèle... Combien d’abeilles ou d’oiseaux avez-vous perdu? Votre moteur de modélisation est très puissant: retirez maintenant dans le calcul toutes les espèces végétales des jardins privés et de la flore spontanée, qu’obtenez-vous? Un désert?

On calcule la valeur monétaire des services environnementaux fournis par la biodiversité. Mesure-t-on les services écologiques fournis par les citoyens ordinaires pour cette biodiversité? Quantifiez et mettez un signe de dollars là-dessus... Mesurez-vous l’impact positif sur la biodiversité que représente toutes ces mains et ces yeux jardinant sensiblement et intelligemment, généreusement et avec, en plus! curiosité et expérimentation?

Beaucoup d’humains faisant beaucoup de petites choses: en clair, c’est ça la biodiversité! Ça donne aussi des fleurs...




Un terrain de golf est un espace vert

À l’échelle fine et pour quelqu’un de pas trop pressé, dans l’acte réel de visiter les ruelles, en dehors de toute modélisation, on constate que ce sont les amateurs d’oiseaux et de jardinage qui permettent la biodiversité. Ils attendent que les grands lâchent leur automobiles et marchent...

Le verdissement n’a que peu à voir avec la biodiversité. Ajouter différentes teintes de vert ou même des touches de couleur n’y change rien. Si une ville prend acte de sa responsabilité envers la biodiversité elle ne devrait jamais planter pour faire joli: c’est une dépense ne rapportant rien en terme biologique. Les ressources publiques limitées interdisent de faire “joli” quand on doit faire “utile”. C’est un point contentieux: on craint que ce soit pas beau... la biodiversité, elle, agit en attendant...




Mon ami l’amélanchier (joli et utile) m’a accompagné jusqu’à ce sommet.

Du curieux mélange des genres, la biodiversité à Montréal ressort curieusement orpheline au niveau institutionnel, de l’administration et surtout des représentations. Elle demeure “officiellement” cantonnée aux grands espaces péri-urbains dont on déplore encore le manque d’inter-connexivité. Voilà pourtant où nous en sommes: de grands ensembles (les parcs-natures, etc) déconnectés entre eux d’une part, et, d’autre part, une action de fond menée depuis quelques décennies et sous les radars des Grands: la contribution citoyenne volontaire et imaginative, occupée aux Possibles. C’est bien la connectivité à l’échelle moyenne qui est déficiente: les biocorridors mais aussi l’enrichissement des parcs publics, l’utilisation des nouveaux espaces que sont les terrains vagues, les marges de stationnement, les toits, etc. Et encore dans ces lieux les citoyens sont à l’action sans grande attention, sans grand appui, habituellement perçus avec dédain, ou passés sous silence à d’autres occasions. Mais néanmoins travaillant ouvertement ou sous le manteau, défonçant les clôtures, toujours en action. À la petite échelle le travail est déjà bien plus avancé qu’on semble prêt à le reconnaître.

Ce sera le sujet de la prochaine grande réunion, annonce-t-on. On le savait. On attend.



3 commentaires:

  1. Roger, ta réflexion sur la biodiversité est profonde et riche. Tu m'apprends beaucoup. La comparaison que tu fais entre verdissement et façadisme en architecture me fait réfléchir. Mais je trouve qu'il manque un élément important dans ton équation: les gens. Sur la pelouse que tu honnit - au parc Laurier et au Parc Lafontaine - il y a des milliers de gens qui s'étendent les fins de semaine; qui jouent au freesbe; qui étendent une couverte par terre pour prendre un pic-nic. Il y en a de plus en plus d'ailleurs parce qu'une catégorie de gens quitte de moins en moins la ville. Sans doute avons nous assez de pelouse et que le temps est venu de développer autre chose (une nature riche de couleuvre et de moustiques qui nourriront les oiseaux) mais y a-t-il trop de pelouse ? Je ne crois pas. Le verdissement ne doit pas prendre la place de la biodiversité; il doit prendre celle de l'asphalte. Il y a autre chose sur laquelle je voudrais t'entendre: le botanique. Est-ce que tu crois dans les aménagements floraux qui ne sont pas riches d'une flore locale mais qui sont décoratifs: i.e. qui agissent comme une oeuvre d'art florale ? Je te le demande parce que je songe à un voyage en Angleterre et je réalise qu'une grande partie de leurs jardins est composée de plantes importées. En gros, y a-t-il une place pour le verdissement, les jardins artistiques et la biodiversité ou vaut-il mieux concentrer nos efforts sur cette dernière ?

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  2. La pelouse que tu honnis - pas honnit - désolé.

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  3. Dans nos aménagements il est temps de faire place à la biodiversité: voilà la véritable grande absente. À priori je n’ai rien contre la pelouse: mais trop d’une bonne chose... Les humains sont par ailleurs partout présents dans mon propos. Offrons à ceux qui restent en ville une expérience un peu plus riche de la nature, pas seulement cette nature utilitaire qui nous fait de l’ombre... Notons que l’ombre peut être indifféremment produite par un érable de Norvège ou un arbre fruitier... même ombre pour les humains mais une ressource très différente pour l’avifaune! Et je dois le répéter: les parcs sont assez grand pour permettre un peu plus d’habitats de la biodiversité. Bien qu’il soit pas mal douteux que des couleuvres arrivent au parc Lafontaine, une plus grande variété d’oiseaux elle: c’est sûr!

    Personne ne propose de convertir le parc Lafontaine en parc zoologique (ah! les beaux souvenirs...) et c’est bien de haies vives qu’il s’agit de constituer, en marge ici ou là. Exemple: face au chalet, de l’autre côté du bassin on a planté une haie de hart-rouge. C’est une idée “paysagère” et même là beaucoup trop timide: esthétiquement une seule espèce ça fait un peu monotone. Dans le même espace on aurait pu planter 6 ou 7 espèces différentes fournissant abri et nourriture. Comme il s’agirait d’espèces fruitières, mon propos serait satisfait ET (je souligne encore: ET) on aurait eu de belles floraisons ce printemps! Maintenant que les amélanchiers sont un peu plus connus... C’est la mentalité qui doit changer... juste un petit peu... le reste, c’est le même travail, le même coût, c’est même plus “joli” et avec un effet positif réel sur la biodiversité. C’est win/win et win! Et ça réduit pas la pelouse... Rien n’interdit de faire de belles plates-bandes, on a assurément l’expertise pour ça à Montréal. Mais partageons les efforts et l’espace...

    Une biodiversité écologiquement fonctionnelle requiert des espaces et des connexions entre ces espaces. Les ruelles ont déjà cette fonction (je ne distingue pas pour l’instant ruelle et arrière-cours: pour les oiseaux c’est la même chose, le même corridor). Mais entre les parcs-natures ou la montagne et ces ruelles il manque des connections: nous sommes donc rendus à travailler à l’échelle des arrondissements et des parcs. Nous pouvons innover, faire beau et biodiversifier. On mettra quelques jonquilles devant!

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