voir au-delà de l’écran des médias et de nos peurs (poissons fluos OGM)
Une question d’un lecteur anonyme arrive à point. La voici dans un commentaire à l’un de mes billets un peu plus bas:
“bien cher "roger des clochers", vas-tu un jour nous parler des omg? je lis dans 'le monde' que le maïs en effet intoxique. tiens tiens ...”
Roger des clochers! J’aime bien, ça fait changement de Roger des moulins à vent...et c’est mieux que Roger la cloche...Par omg j’imagine que vous voulez dire OGM? Le mot est en effet aussi chargé que la question que vous me posez et l’écrire correctement peut être aussi difficile que d’écrire “Belzébuth” ou de prononcer l’ineffable nom du dieu du judaïsme. Bon je fais un Roger la cloche de moi-même et m’éloigne du sujet...
ailleurs, nos rêves sont des cauchemars
Cher “anonyme”, peut-être me demandez-vous “que pensez-vous des OGM”? Une question immense et assez imprécise... Une question que l’on peut aussi qualifier de “chargée” et à laquelle je ne répondrai qu’indirectement et très partiellement. Je rédige justement un article sur la salicaire, cette “menace environnementale monstrueuse et espèce envahissante”. Je réfléchit plus spécifiquement sur la “transformation” (inévitable?) de l’information scientifique par le filtre des médias... La science (comme l’art) est lente et les médias sont instantanés... pressés souvent... c’est que les lecteurs sont affamés!
Je ne suis pas spécialiste de la question des OGM... mais je suis assez bien prévenu de certains problèmes de la diffusion de la science dans la société. Je me contenterai donc de commenter à partir de cet article du journal Le Monde. À mon avis c’est un cas classique du difficile (ou trop facile...) passage de l’information d’un article scientifique (presque) à travers le filtre des médias...serait-ce par le réputé quotidien français Le Monde.
on est pas des cornichons (même marins) Enypniastes eximia
Pour critiquer cet article nous n’avons même pas besoin de comprendre la méthodologie statistique utilisée! Ça c’est super! Le biais des auteurs se révèle tout seul quand ils sont interviewés (filtrés) par les médias! Ces derniers sont friands de gros mots: Monsanto par exemple rapporte beaucoup...et pas seulement à ses actionnaires... En effet Le Monde titre:
“Une étude prouve la nocivité pour l'organisme de trois maïs Monsanto” et plus loin dans l’article: “Une étude publiée dans la revue International Journal of Biological Sciences démontre la toxicité de trois maïs génétiquement modifiés”.
La nocivité ou la toxicité (au choix...) des maïs modifiés lit-on... non pas la toxicité des modifications génétiques. Vous croyez qu’il n’y a pas de différence? Le cheval est dans le pré et le pré est dans le cheval, c’est pareil? Pourtant les auteurs scientifiques font eux-mêmes la différence:
“This can be due to the new pesticides (herbicide or insecticide) present specifically in each type of GM maize, although unintended metabolic effects due to the mutagenic properties of the GM transformation process cannot be excluded”.
Ils avouent ne pas savoir ce qui dans ces OGM fait problème...il est possible qu’un autre facteur indirectement lié à la transformation génétique elle-même soit en cause. Hors, voilà la question qu’il convient de poser: une amélioration du procédé d'ingénierie génétique éliminerait-elle la toxicité tout en conservant les modifications génétiques “utiles”? Qui sait?
ailleurs, nos cauchemars sont des rêves
Ou qui veut savoir...
Un des auteurs de l’étude affirme dans l’entrevue au Monde que: "Nous avons prouvé pour la première fois au monde que ces OGM n'étaient pas sains”. Hors, dans l’article scientifique, lui-même les auteurs sont plus réservés (et moins prétentieux...) et concluent un peu différemment:
“our data strongly suggests that these GM maize varieties induce a state of hepatorenal toxicity”
En clair: “nos données SUGGÈRENT que ces OGM induisent une toxicité”. Prouver ou suggérer? Mais voilà! OGM et toxique sont associés. Une suggestion ne prouve rien! Ils ne disent pas “nos données prouvent que les modifications génétiques de ces variétés sont toxiques” C’est pourtant le titre de l’article du Monde...un glissement subtil. Mais multiplions ces glissements subtils des centaines de fois dans toutes sortes de médias... Nous avons alors un nouveau monstre: un organisme généré médiatiquement! Il n’est alors pas étonnant que les lecteurs cherchent refuge dans la sécurité du “ne changeons rien”, “non aux OGM” et de la méfiance de la science...et de l’industrie. Et l’industrie des médias? On ne s’en méfie pas? Ça compte pas?
Tout ce que nous retiendrons de l’article du Monde c’est l’équation OGM = Monstre. Mais on ne peut en aucun cas citer cet article de Séralini comme preuve d’un danger inhérent et général des OGM: ”Patho-physiological profiles are unique for each GM crop/food, underlining the necessity for a case-by-case evaluation of their safety, as is largely admitted and agreed by regulators.” C’est au cas pas cas pour chaque OGM nous dit Séralini dans son article (la science est lente, rappelez-vous...) donc: “It is not possible to make comments concerning any general, similar subchronic toxic effect for all GM foods”
Le mot OGM recouvre un grande variété de procédures, certaines aussi anciennes en fait que l’agriculture et la domestication des animaux. Les OGM d’aujourd’hui sont bien plus nombreux qu’on ne le croit généralement et vouloir les éviter dans notre alimentation (ou ailleurs...) est en fait déjà impossible (ou extraordinairement complexe...). De nombreuses espèces végétales alimentaires ou non ont été transformées: maïs, riz, soja, colza, lin, tournesol, tomate, coton, papaye, betterave, pomme de terre, carotte, chicorée, fraise, chou et chou-fleur, peuplier, œillet et tabac. Vous aimez le saumon? Difficiles d’éviter les OGM, surtout dans les produits élaborés ou très transformés avec les huiles, les farines, les sucres...issus des OGM. Et là, nous sommes tous ensemble au super-marché.
Il est par ailleurs toujours pertinent de savoir qui finance une recherche. Si on peut regretter souvent (et avec raison) que les études soient financées par l’industrie je me demande s’il est prudent d’ignorer les intérêts de l’économie nationale ou de groupes environnementaux ayant au départ une opposition aux OGM. Le principe de prudence doit-il être mis de côté quand ce sont les “bons” qui sont en position d’influencer les résultats en finançant les recherches?
“The support of the French Ministry of Research is gratefully acknowledged. Greenpeace contributed to the start of the investigations by funding first statistical analyses in 2006, the results were then processed further and evaluated independently by the authors.”
Ces deux-là sont des “bons” n’est-ce pas? Et le principe de prudence, il est où?
les monstres sont des organismes générés médiatiquement
Bien sûr il est très difficile et couteux de faire tous les essais et toutes les recherches nécessaires sur quelques années et prouver une toxicité des OGM. Peut-être est-il plus simple d’interdire simplement ces produits proposés par la science et l’industrie. Mais que faites-vous de la démographie planétaire et des besoins alimentaires prévus? D’ici quelques décennies (en 2050, et c’est demain ça...) nous devrons augmenter de 70% la production alimentaire mondiale. Dans des climats qui changent... ce sont 2,3 milliard d’humains de plus qu’il faudra fournir en nourriture de base. Avons-nous des solutions alternatives massives pour ce double défi? Il est vrai que c’est le problème des autres, loin de nous sur de lointains continents, au Sud...
croyances et croissances
OGM: ce seul mot-épouvantail arrive à cacher bien des réalités: la brindille cache maintenant toutes les forêts. Et si nous nous trompions de monstres? Chacune de nos peurs peut produire une catastrophe ailleurs sur la planète. Même nos rêves verts peuvent être à l’origine de misère au sud: nous avons semble-t-il déjà oublié la folie des bio-carburants produits avec du maïs... les mexicains eux s’en souviennent... Nos craintes environnementales sont trop souvent des monstres que nous exportons. Nous sommes de riches exportateurs de catastrophes. Rendons-nous compte: le monstre c’est nous, dans nos pays développés où il y a maintenant plus d’obèses qu’il y a de sous-alimentés sur la planète...
un autre monde vert: celui du risque de famine
Suis-je pour ou contre les OGM? Ça dépend...duquel parlez-vous? Vous voyez c’est que d’après cette étude de Séralini c’est au cas par cas qu’il faille juger...
La sensibilité (lire clairement: le risque de famine...) de certaines populations à tous changements importants dans la production alimentaire de base ne doit jamais quitter nos préoccupations, mêmes les vertes. Les essais catastrophiques et massivement subventionnés de convertir la culture du maïs en source d’éthanol n’en sont qu’un exemple récent de la manipulation de nos fantaisies de riches. Les défis de la production alimentaire de base trouveront une partie des réponses avec la recherche en génie génétique. Demeurons vigilants en sachant que la prudence peut bien se passer de la peur.
Les médias sont pressés de nous terroriser. L’industrie aussi est pressée: bientôt il y aura beaucoup, beaucoup, beaucoup d’affamés...Prenons un peu de temps pour être critique...
Moi, j’aime les OGM!