À moins de surprise, voici la dernière contribution au Festival Flora Urbana. Jasmine Kabuya nous entraîne au bord de l'eau et du fleuve où elle s'entraîne à courir ou faire de la photo et voyager dans le temps. Elle nous envoie plein de belles photos et je les mets toutes ou presque. J'ai pris la liberté de les retravailler un peu. Bon samedi!
Les enfants ont soupé et mon conjoint prend la relève. Je mets mes vieux souliers de course et m’échappe dans mon quartier. Une petite rue me mène à l’entrée du parc régional des îles de Saint-Timothée, un petit lieu enchanteur parsemé d’îles, bien sûr, d’histoire et de bouts de forêts pour le moins intéressants.
Je dois avouer que je suis encore étonnée de me voir persévérer à courir une fois semaine. Bof! Ce n’est pas un entraînement olympien, mais c’est mon record d’assiduité à une activité physique dans laquelle je suis la seule à injecter la motivation. Quoiqu’une certaine magie soit aussi à inclure…
Parvenue sur l’île Papineau, je tourne sur ma gauche pour joindre une digue asphaltée construite par Hydro-Québec. D’un côté, la rivière St-Charles autrefois surnommée romantiquement la rivière aux étrons. De l’autre côté, un plan d’eau calme, le Fleuve St-Laurent et au-delà, Les Cèdres, dont seul le clocher de son église qui perce la végétation nous indique qu’il y a village. La vue est sereine en cette fin de journée.
Aux abords du chemin,
pousse une communauté de plantes herbacées communes pour ne nommer que
les plus visibles: fraisier, achillée millefeuille, morelle douce-amère,
chrysanthème, laiteron des champs. Tout l’été, j’ai observé leur
évolution avec grand plaisir. À plusieurs reprises pendant la saison
estivale, Hydro-Québec rasait les abords rendant le décor désolant
pendant plusieurs jours. Par chance, les plantes qui avaient les pieds
près de l’eau ainsi que les ormes d’Amérique, les frênes blancs, les
peupliers, les cornouillers stolonifères et les vinaigriers de bonnes
dimensions ne passaient pas sous la coupe !
Un tournant me fait
entrer dans la forêt. Le chemin asphaltée continue et longe maintenant
sur ma gauche le site clôturé de General Dynamics, une compagnie
importante de la région qui produit des munitions. On ne peut s’y
introduire que par les yeux pour observer cette zone tampon dont la
nature est préservée, du moins jusqu’à une explosion!
Ma course alterne la
marche rapide et je profite du mouvement moins saccadé pour mieux
admirer ce boisé. Beaucoup de peupliers deltoïdes, de bouleaux à
papiers, quelques tilleuls d’Amérique et chênes. Plus petits mais très
nombreux, les cornouillers à feuilles alternes et les ronces odorantes.
Cet été, j’ai fait une première rencontre avec les framboisiers noirs (Rubus occidentalis), un vrai délice qui mérite qu’on s’arrête même en plein jogging!
Je
cours, je respire, je hume. M’entraîner dans un gymnase ne me manque
pas ! Selon les saisons, la température, le moment de la journée,
l’endroit, je sens différentes choses. Difficiles à nommer précisément.
Ce sont de complexes mélanges d’odeurs. À mon nez, parviennent des
bouffées parfumées et je réussis à reconnaître des tonalités : la terre,
les feuilles d’une essence particulière, des plantes chauffées par le
soleil, l’humidité ombragée, le foin ou les algues. Respirer à plein
poumon dans cet environnement est constamment enivrant.
J’arrête juste un peu
après le premier barrage, sur l’île Juillet. Je fais quelques exercices
de musculation dans ce drôle d’endroit où Hydro-Québec laisse ses
vestiges: conteneurs et poutres rouillés, équipements électriques, cônes
délavés. Tout le matériel humain est d’une laideur alors que les
végétaux sont d’une beauté ; le dernier vient adoucir le premier et
donne à ce territoire un je-ne-sais-quoi d’attachant.
Pendant tout l’été, ils
ont laissé pousser les prés. J’aimais pouvoir observer furtivement les
plantes qui y poussaient alors que je faisais des exercices dans un
escalier de métal abandonné. « Tiens de l’asclépiade ! Je reviendrai
avec les enfants pour en cueillir et on s’en fera un sirop. Ma fille
aimera aussi se faire un beau bouquet de marguerites ».
Je prends deux roches
pour m’en faire des poids. Je me rappelle d’un jour où un groupe
d’urubus à têtes rouges a émergé d’un grand arbre. Leurs battements
d’ailes sourds m’avaient surprise. Leur vol plané au-dessus de l’eau et
de la forêt m’avait fascinée. Je soulève mes roches en dirigeant mon
regard sur le plan d’eau vers St-Timothée. Les ancêtres seraient bien
confondus de voir ce bassin si calme alors qu’il était le plus
tumultueux de tout le Fleuve avant qu’il ne soit harnaché !
Je retourne sur mes pas.
Je remarque une vesce jargeau qui s’entortille sur la clôture et du bout
des doigts j’attrape deux grappes de fleurs, je les secoue et les
grignote. Le soleil descend derrière moi. Quelques bateaux de pêcheurs
font du bruit. On entend vaguement les autos et camions sur le boulevard
au sud-ouest. Les oiseaux chantent. Je vois des quenouilles qui se
balancent et des phragmites qui s’agitent. Je croise quelqu’un en
bicyclette. Petit salut. Malgré toutes ces présences, les lieux
conservent leur sérénité.
Pendant que je regagne
l’entrée du parc, je m’abreuve du paysage qui s’est métamorphosé,
maintenant baigné de clair-obscur. Même si auparavant (voir avant les
enfants) je faisais de la randonnée pédestre et autres activités
physiques à l’extérieur, ces quelques semaines à m’entraîner en solo
dans cet environnement m’ont amenée à constater que plus que jamais
bouger dans des lieux où je peux poser mon regard sur la flore et la
faune me donne autant de satisfaction que l’exercice que j’accompli. Je
me sens donc privilégiée d’avoir tout près de chez moi ce petit parcours
dans la nature aussi empreint de nous soit-il.
Quand elle ne voyage pas dans le temps et l'espace Jasmine travaille sur son blogue: Je suis au jardin