En 1862 Darwin en examinant une fleur de l'orchidée Angraecum sesquipedale fait la prédiction, ridiculisée par bien des entomologistes à l'époque, d’un papillon de nuit avec une “trompe” (le proboscis) de 10-11 pouces:
“Dans plusieurs fleurs que m'a envoyées Mr. Bateman, j'ai trouvé des nectaries [l’éperon] de onze pouces et demi de long, avec seulement le pouce et demi inférieur rempli d'un nectar très doux. [...] Il est cependant surprenant qu'un insecte soit capable d'atteindre le nectar : nos sphinx anglais ont des trompes aussi longues que leur corps; mais à Madagascar il doit y avoir des papillons avec des trompes capables d'une extension d'une longueur comprise entre dix et onze pouces !”*
L’orchidée malgache Angraecum sesquipedale, l’Étoile de Madagascar. À gauche la planche originale la décrivant par Thouars** et à droite un rendu du papillon exécuté selon Wallace.
Son collègue Alfred Russel Wallace en rajoute en 1871:
"...certains grands sphinx des tropiques ont des trompes aussi longues que les nectaries d'Angraecum sesquipedale. J'ai mesuré avec soin la trompe d'un spécimen de Macrosilia cluentius d'Amérique du Sud, dans les collections du British Museum, et j'ai trouvé qu'elle avait neuf pouces un quart de long ! Un d'Afrique tropicale (Macrosilia morgani) a une trompe de sept pouces et demi de long et pourrait atteindre le nectar des plus grandes fleurs d'Angraecum sesquipedale, dont les nectaries varient de dix à quatorze pouces de long. Qu'un tel papillon existe à Madagascar peut être prédit avec sûreté ; et les naturalistes qui visitent cette île devraient le chercher avec autant de confiance que les astronomes ont cherché la planète Neptune, et je me hasarde à prédire qu'ils seront autant couronnés de succès !"
Ce Macrosilia morgani est un synonyme de Xanthopan morgani! Wallace a visé juste! Mais la preuve n’est pas encore faite, ce papillon africain n’a jamais été observé à Madagascar même. La chasse au sphingidé (la famille à laquelle appartient le visiteur nocturne) était ouverte.
Son collègue Alfred Russel Wallace en rajoute en 1871:
"...certains grands sphinx des tropiques ont des trompes aussi longues que les nectaries d'Angraecum sesquipedale. J'ai mesuré avec soin la trompe d'un spécimen de Macrosilia cluentius d'Amérique du Sud, dans les collections du British Museum, et j'ai trouvé qu'elle avait neuf pouces un quart de long ! Un d'Afrique tropicale (Macrosilia morgani) a une trompe de sept pouces et demi de long et pourrait atteindre le nectar des plus grandes fleurs d'Angraecum sesquipedale, dont les nectaries varient de dix à quatorze pouces de long. Qu'un tel papillon existe à Madagascar peut être prédit avec sûreté ; et les naturalistes qui visitent cette île devraient le chercher avec autant de confiance que les astronomes ont cherché la planète Neptune, et je me hasarde à prédire qu'ils seront autant couronnés de succès !"
Ce Macrosilia morgani est un synonyme de Xanthopan morgani! Wallace a visé juste! Mais la preuve n’est pas encore faite, ce papillon africain n’a jamais été observé à Madagascar même. La chasse au sphingidé (la famille à laquelle appartient le visiteur nocturne) était ouverte.
Quel archer réussira un tir de plus d'un siècle de distance?
Les amateurs de golf qui visent un petit trou à quelques centaines de mètres ne m’impressionnent pas du tout. Même une cible atteinte par un archer nippon au galop sur un cheval, le yabusame, n’arrive pas (presque, mais pas tout à fait!) à ébranler la montagne de ma placide exigeance de précise beauté prédictive...
Ce sera Rothschild et Jordan dans la publication A revision of the lepidopterous family Sphingidae (1903) qui prouvèrent la présence du papillon à Madagascar. Ils donnèrent le statut de sous-espèce en le nommant Xanthopan morgani ssp. praedicta (“prédit”). Et l'insecte possède effectivement une trompe de 25 cm de long... Après des observations en conditions artificielles dans des serres européennes (le papillon visitant effectivement la fleur en question pour son nectar), il restait maintenant à documenter la pollinisation de l’orchidée malgache par l’insecte. Ce n’avait encore jamais été observé en nature. Ce n’est qu’en 1997 que Lutz Thilo Wasserthal réussira à photographier le sphingidé pollinisant l’orchidée malgache.
Ce sera Rothschild et Jordan dans la publication A revision of the lepidopterous family Sphingidae (1903) qui prouvèrent la présence du papillon à Madagascar. Ils donnèrent le statut de sous-espèce en le nommant Xanthopan morgani ssp. praedicta (“prédit”). Et l'insecte possède effectivement une trompe de 25 cm de long... Après des observations en conditions artificielles dans des serres européennes (le papillon visitant effectivement la fleur en question pour son nectar), il restait maintenant à documenter la pollinisation de l’orchidée malgache par l’insecte. Ce n’avait encore jamais été observé en nature. Ce n’est qu’en 1997 que Lutz Thilo Wasserthal réussira à photographier le sphingidé pollinisant l’orchidée malgache.
La détection des phéromones et parfums par les papillons de nuit est d’une finesse pas commune. Ceux-ci détectent en effet les parfums de fleurs ou les phéromones des femelles éloignées de quelques kilomètres. Ainsi la fleur émet son parfum la nuit et le message est éventuellement capté. On a finalement réussi à filmer cette discrète écologie de l’approche nocturne.
142 ans, 7 mois et 5 jours après la prédiction de Darwin. Avec patience, caméra et lumière infra-rouge c’est le fameux papillon de nuit qui boit le nectar qui est enfin filmé. La prédiction a un goût sucré. Mais pour l’accouplement de cette espèce il faudra sans doute attendre encore un peu...
Voici ci-haut un autre illustration de Angraecum sesquipedale (sesqui: demi, pedale: pied, voulant dire “un pied et demi”, en parlant de l’éperon) et le papillon Xanthopan morgani.
À l'ajustement écologique du papillon pollinisant l'orchidée en buvant un peu de nectar (celle-ci disparaîtrait en nature si le papillon disparaissait) correspond l'équipe extraordinairement ajustée de Darwin et de Wallace et de quelques autres explorateurs de la nuit. Le relais de la curiosité de ces hommes est le sport de la découverte. L'équipe est à géométrie variable, sur des continents différents et des siècles discontinus.
C'est mon sport préféré!
* Le titre original de l’ouvrage de Darwin est: On the various contrivances by which British and foreign orchids are fertilised by insects, and on the good effects of intercrossing. Il est téléchargeable (en plusieurs langues svp...) ici: Fécondation des orchidées
**Une édition fac-similé du superbe (petit) livre est disponible à la bibliothèque du Jardin Botanique de Montréal: “Histoire particulière des plantes orchidées recueillies sur les trois îles australes d'Afrique". Paris 1822. Louis Marie Aubert du Petit-Thouars(1758-1831)
**Une édition fac-similé du superbe (petit) livre est disponible à la bibliothèque du Jardin Botanique de Montréal: “Histoire particulière des plantes orchidées recueillies sur les trois îles australes d'Afrique". Paris 1822. Louis Marie Aubert du Petit-Thouars(1758-1831)
Lecture très intéressante! Sport plus que fascinant! Découvertes rafraîchissantes. Un grand merci!
RépondreEffaceroh la la !...
RépondreEffacer- Voyez, il suffisait d'examiner cette fleur pour déduire de sa forme l'allure du papillon qui la butine...
RépondreEffacer- Que vous êtes brillant, mon cher Holmes !
- Élémentaire, mon cher Watson...
(Extrait d'une aventure inédite de Sherlock Holmes que ni Darwin ni Wallace n'ont pu lire.)
Quand même, ils avaient l'oeil, ces vieux Anglais - qui ne l'étaient pas nécessairement tous (vieux, je veux dire) à l'époque.
Une adaptation si totale fait peur. Deux exceptions parfaitement complémentaires et si dépendantes. Vivent les pissenlits et les moineaux, qui se débrouillent très bien tout seuls et l'un sans l'autre.
Bon, je sais, dans le cas des pissenlits, il faut l'aide du vent...