jeudi 16 décembre 2010

Sympathiques saltimbanques


Macro-video d’un Phidippus apacheanus mâle (Apache Jumper). Thomas Shahan.

Avec sa version de “While my guitar gently weeps” comme trame sonore, Thomas Shahan nous donne ici un film extraordinaire de sensibilité. Pareille dédramatisation des araignées par un contact privilégié et attentionné est une oeuvre d’art peu commune: ce sont nos représentations des araignées qu’il nous invite à revoir. L’instrument le plus utile de cet homme-orchestre est sans aucun doute son approche horizontale de ces arthropodes, d’égal à égal. Sur ce clip nous avons même l’illusion (?) que l’araignée lui retourne cette curieuse sollicitude...

Avec près de 5000 espèces les Salticidae (salticidées, araignées sauteuses) forment la plus grande famille d’araignées. Les sympathiques sauteuses font (ou devraient...) exception dans la perception générale des araignées. Leur vivacité attirent notre attention sans l’habituelle répugnance ou la peur que suscitent les autres araignées. Hautes sur pattes, leur démarche n’est pas associée à ces autres espèces qui rampent le ventre au sol, “sournoisement”. Évidemment tout cela est affaire de nos perceptions et de leurs ancrages au plus profond de notre mémoire: nous avons une peur atavique des “insectes” et des serpents “en général”. Ces atavismes sont “génériques” et deviennent généralisateurs parce qu’ils sont en fait des ancrages génétiques dans notre éthologie. Peut-on revoir cette crainte des araignées avec discernement?



Femelle adulte de l'espèce Phidippus mystaceus, araignée sauteuse de l'Oklahoma. Photo Thomas Shahan.


Les sauteuses chassent à vue avec une merveilleuse adaptation: elles possèdent huit yeux, détectent les mouvements avec précision, distinguent bien les couleurs et voient même dans l’ultra-violet. Elles bondissent sur leurs proies mais leurs pattes n’ont pas de muscles. Il s’agit plutôt d’un véritable système hydrolique, produit par l’influx instantané de l’hémolymphe (leur sang incolore) sous pression dans leurs articulations qui produit la force du saut. Mais une salticide sautera après avoir fabriqué et fixé un fil de soie: l’agilité n’exclue pas la prudence!

Cette famille d’araignées provoque plus facilement la sympathie: elles sont vives et curieuses et si nous n’avons pas ici d’espèces aussi grosses ou colorées nous avons quand même la commune Salticus scenicus ou saltique harlequin.

Chassant au soleil sur les murs de béton ou de brique cette araignée sauteuse est familière à tous. Elle entre souvent dans les maisons où, quand elle est aperçue, elle est plus facilement tolérée. Par un étrange phénomène que remarque souvent les observateurs quand on l’approche elle nous regarde et s’approchera même de votre doigt. Une étrange curiosité toute domestique, une rencontre d’un autre type... Les autres araignées ignorent ou fuient les humains. Le saltique harlequin a toutefois un comportement de bon voisinage!


 
Le petit zèbre Salticus scenicus. Photo-Wiki: Adam Opioła

Une des 40 ou 50 espèces présentes au Québec, le saltique harlequin ou saltique chevronné (Salticus scenicus, zebra spider) est une espèce holartique, “tout-artique”, signifiant qu’on la trouve tout le tour de l’hémisphère Nord: Eurasie et Amérique du Nord. Cette espèce est partout associée aux milieux humains. Un saltimbanque urbain au soleil... tiens, ça me rappelle quelque chose...

Culturellement les humains se targuent d’un discernement en toute matière. S’ils sont urbains ils en remettent toujours plus là-dessus (encore plus s’ils sont urbains et fortunés...). L’accès et l’appréciation subtile des arts (et bien souvent les arts de l’estomac...) sont prétexte à cette démonstration de subtiles distinctions. La biodiversité et, bien sûr, la biodiversité urbaine, interpellent nos prétentions de finesse du regard. Devant les araignées sauteuses, ces animaux fascinants qui nous observent, il semble que ce soient nous les monstres au regard imprécis et sans discernement.

Une araignée avec un cerveau gros comme une tête d’épingle fait preuve de plus de discernement du danger de l’autre que nous prétentieux humains. Il faut dire qu’elle a huit yeux!

Les sauteuses nous invitent à sauter les barrières ataviques de notre éthologie. Elles sont craquantes et invitantes... Je saute!


Aller tout de suite voir sa galerie de photos Flickr de Thomas Shahan:
Jumping Spiders of Oklahoma

Et visitez son site web pour y voir des photos et des films.



4 commentaires:

  1. J'avoue que je craque aussi pour ces "bibittes" sympathiques que tu nous fais découvrir avec des yeux nouveaux (je me sens apparaître une deuxième paire d'yeux, tiens...)
    La peur des insectes m'énerve. Je dis cela parce que je suis peureuse, un peu comme la majorité des gens je crois, et que j'aimerais tant ne pas avoir ce petit dégoût quand je vois une grosse larve joufflue ou une famille de chenilles à tente en pleine fiesta sur une branche. Pourtant, j'essaie d'inculquer à mes enfants (et à moi-même) cette curiosité pour tous les insectes. Pour l'instant, chenilles colorées, vers de terre juteux, fourmis sympas (et encore là, faut pas que j'aie le pied sur leur nid!) et papillons sont les seuls insectes que je consens à toucher!
    Bref, il me reste du chemin à faire!
    J'irais me familiariser d'abord avec les araignées de M. Shahan...

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  2. Je crois qu'elles nous trouvent laids mais quand même intéressants avec nos grands yeux.

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  3. Bonjour Roger,

    Je suis photographe nature et j'adore venir me balader sur votre blog et y glaner toutes sortes d'informations sur les endroits communs que nous visitons et sur la flore et faune que nous y trouvons.
    Merci pour toutes ces informations.

    La photographie de la p'tite araignée sauteuse - (oui on dirait qu'elle a des ressorts - la suivre est une entrainement physique en soi ;) ) - est vraiment super ont voit bien ses drôles d'yeux qui regardent de partout.

    L'autre jour, j'ai entrepris de capturer le portrait de l'une de ces p'tites bêtes chez moi - et je suis demeurée surprise de son intelligence à m'éviter - avec mon objectif macro je la voyais immense et presque terrifiante! Mais après une heure elle est devenue sympathique. Avez-vous remarqué qu'elle semble avoir un masque (tel l'argiope) sur son postérieur - c'est tellement confondant que sur mes photos on ne distingue plus le devant du derrière :D (Ais-je bien vu ou est-ce un mirage ? ) Dès qu'elle voyait ma tête épeurante elle me présentait son postérieur effrayant...

    Elle s'est posée sur mon mètre à mesurer posé sur un fauteuil, afin, j'imagine, de donner ses mensurations exactes et prouver comment elle est minuscules - soit exactement - 4 mm! J'espères bien la revoir et refaire d'autres prises - un autre après-midi à ramper ;D

    Au revoir et encore merci tout en vous souhaitant une très bonne année et de belles rencontres!

    Nicole Lessard

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