Je termine mon prochain livre: Walker. Les ruelles du Plateau-Mont-Royal. Alors je n’ai pas le temps de faire une analyse plus poussée du Plan Directeur du Parc La Fontaine qui vient d’être publié. Je m’en tiens ici à quelques notes sur l’occasion manquée de faire grand, c’est à dire de faire à la mesure de l’importance culturelle (pourtant avouée par tous) du parc et de son patrimoine arboricole.
Et en parlant de grand, je reviens encore une fois sur les Grands Peupliers du parc. La préservation et la reconstitution de l’aménagement d’origine ne fait pas partie des plans… personne ne sera étonné de voir ce rêve d’artiste amateur d’arbres et d’histoire laissé de côté par des pros. Après tout, qu’ai-je à dire sur ce sujet, et qui suis-je pour le dire?
Certains lèvent respectueusement les yeux devant ces colosses. D'autres lèvent le nez...
Il y a plus d’un siècle, l’aménagement d’une plaine gazonné ouverte, cernée par un cartouche de peupliers carolins suggérait fortement une intention monumentale, mémorielle et un lieu de rencontre, un espace événementiel. On peut certainement y voir un symbole de l’appropriation des francophones de cet espace d’exercice militaire des Britanniques… vous me suivez?
C’est ce qui me conduit à croire que cet aménagement a une importance patrimoniale. Le patrimoine c’est aussi du vivant… les arbres, vous savez?
Cette forme de rectangle aux coins arrondis se nomme: un cartouche.
Dans les documents préparatoires du plan directeur on posait la question
« Comment doit-on envisager le remplacement des arbres matures vieillissants? En conservant les mêmes essences? »
Réponse (de M. Latour…): En conservant, oui! En procédant à leur rejuvénilisation! Ce sont des peupliers, des boutures de peupliers précisément, faites-donc tout simplement à nouveau des boutures, bordel! Techniquement (génétiquement, etc.) ce serait alors les mêmes arbres centenaires qui auraient, du coup, un autre cent ans devant eux! C’est ti-pas fantastique! Il y aurait encore des mastodontes de cent ans dans cent ans et les curieux promeneurs des avenirs futurs, enlevant un instant leur casque de réalité virtuelle, ébahis, se demanderaient, comme le font les promeneurs aujourd’hui: « Mais qu’ils sont magnifiques ces hénormes peupliers! Qu’est qu’ils font là? »
J'ai moi-même personnellement, à fort labeur, compté les cernes annuels de ces arbres.
Dans les documents préparatoires on parle aussi du « rôle civique et de rassemblement » du parc. Je sais pas si c’est le cartouche qui est qui considéré dans cette phrase? Sinon de quoi parle-t-on? Rôle civique et de rassemblement? C’était pourtant précisément la fonction d’origine de l’aménagement! Tiens, tiens!
« Lieu d’affirmation de la culture francophone » Voilà exactement ce que je crois être le sens que l’on donnait il y a cent ans à cette plantation de peupliers hybrides.
Pour rappel: le peuplier deltoïde est considéré des plus typiques de la région de Montréal. Les plus grands arbres du parc sont des peupliers Carolins (ou de Caroline ou Populus x canadensis). Ce dernier est un hybride de notre peuplier deltoïde avec le peuplier noir et fût découvert en France au 18e siècle. Peuplier montréalais, peuplier français, plantés par un français, dans un parc considéré comme lieu d’appropriation culture d’un espace militaire british par les francos (d'ici et d'ailleurs...)?
Ça sent l’affirmation nationale des canadiens-français… un peu! Je trouve.
Succédant à Auguste Pinoteau (un français de France) à titre de surintendant, Émile Bernadet (un belge de Belgique, je crois) devient responsable des parcs de la Ville en poste de 1910. Il habitera d’ailleurs sur les lieux… je regrette cette époque où le responsable était sur place avec une intimité paysagère incomparable! À la même époque que l’on construit le pont rustique dessiné par Clovis Degrelle (un autre Frenchy) vers 1914, Bernadet et/ou Louis-François Chollet (un Frenchy? ché pas...), responsable de l’aménagement, qui dessine la plantation des peupliers vers 1915.
Mais le Plan Directeur ne s’étend pas sur le sujet et on y lit: « L’espace réservé au manège militaire est formalisé par un grand anneau de parade souligné par la plantation de peupliers alignés, dont certains subsistent toujours. »
Ça manque de raffinement et d’imagination. Je trouve. Ce sont après tout les plus grands arbres du parc! Et comme bizarrement plantés. Vous pouvez aussi croire que j’en ai trop (d’imagination, parce que le raffinement ne me caractérise pas du tout).
Par ailleurs, vous vouliez « Un espace ouvert, accueillant et rassembleur »? Vous l’aviez à portée de main… sous les clôtures Frost. Fallait les enlever. C’est raté!
Empêcheurs de danser en rond, anti-festifs, les mastodontes du parc La Fontaine et le cartouche mémorial ne font pas partie de l’avenir du parc… L’amnésie est le manteau qui abrille notre regard myope…
Au lieu de retirer les clôtures et de raser les terrains de baiseballe, rétablissant ainsi la grande plaine de rencontre cernée des peupliers Carolins, on ajoutera encore des installations (ou quelques patentes à gosses, soyez certains…). On semble opter pour une densification des installations et des usages. On semble ailleurs dans le parc vouloir réduire et rectifier certaines plantations maintenant matures… Oui, il y a eu du plantage de n’importe quoi, n’importe où, mais… Patrimoine arboricole? Vous rigolez?
L’écran d’arbres et d’arbustes derrière les gradins du Théatre de Verdure est en réduction depuis quelques années. La fièvre des aménagistes s’exprimant musicalement avec de douces tronçonneuses. J’ai même vu des arbres sains (dont une grande aubépine) marqué pour la coupe… Ah! le charmant (et discret) petit bulldozer des dezigners…
On est en 2018. Alors ça prend du Momento Factorino, du spectacle… faire du travail paysager (dans le sens approprié dans ce parc: aménagement paysager qui tienne sérieusement compte des arbres et de leur histoire…)?
Na… c’est pas créatif.
PS: si vous lisez ce document: Inventaire phytosanitaire du parc La Fontaine (pour télécharger, voyez plus bas). Personne n’est obligé de tenir compte de mes avis mais si l’on a tenu compte de mon identification des peupliers de Caroline (Populus x canadensis) et changé l’information dans les inventaires, pourquoi ne pas aller plus loin et noter la présence de l’orme lisse (Ulmus laevis, j’en ai amplement parlé dans ce blog)?
Tous les détails sur cet arbre inconnu dans mon livre Stabat Arbor. (publicité éhontée)
Je crois aussi avoir signalé l’absence de l’orme de Thomas (ou orme liège, Ulmus thomasii). Il n’y a pas non plus d’orme rouge (Ulmus rubra) au parc La Fontaine! Ce dernier c’est ma faute je crois bien…un billet mal-avisé publié ici il y a longtemps. Mais ces rectifications sont des détails, de l’ordre de l’intérêt sérieux pour les arbres du parc, leur meilleure identification dans les inventaires, etc. Toutes choses plus lentes et moins festives vous savez…
Trouvez le Plan Directeur et tous les documents afférants: ici
Lisez l’entrevue de Gabriel Deschambault (avec qui je suis bien d’accord) par Marco Fortier
Et lisez quelques billets publiés depuis quelques années sur ce blog (ou ailleurs):
Le projet de restaurer cet aménagenent historique et d’assurer une continuité du patrimoine arboricole? Idée folle, sans soutien: c’est fini! Dommage…
Bon weekend!