mardi 18 janvier 2011

Denis Dutton


La beauté d'un paysage (ou de sa représentation) est-elle culturellement déterminée? L'art est-il une manifestation strictement culturelle (acquise). Peut-on y voir une base innée? Je suis évolutionniste (je sais, c'est bien terrible…) et toute tentative d'expliquer les phénomènes humains en termes biologiques m'intéressent. Je suis, après tout, organique et bio...


Washington entre un hippo et des cerfs (à Disneyland...) le paysage préféré des Américains.

Au-delà des apparentes distinctions culturelles (en-deçà, devrions-nous peut-être dire…) l'évolution humaine étant partagée par tous les humains (!), il faut peut-être porter notre attention sur ce qui les unis. Denis Dutton nous invite à laisser nos appréhensions interdisant les liens entre notre biologie, nos comportements et la culture. Pour lui il est inévitable que l'appréciation du paysage ou la nature même de l'art découlent ultimement des idées de Darwin. Un beau paysage est celui qui se rapproche du paysage dans lequel les humains ont évolué en Afrique au Pléistocène il y a 2 à 2,5 millions d'années.



Le paysage préféré des Français. Église sur la falaise... et hippo dans l'eau!

Un espace vert doit-il être le lieu d'exercice stylistique d'un architecte paysager? La conception, l'aménagement puis l'appréciation du paysage ou sa recevabilité sociale trouveront un jour des paramètres évolutionnistes. Notons que de pareilles réflexions assureront par le fait-même la conception de paysages écologiquement fonctionnels. L'actuelle tendance à incorporer les idées de services environnementaux de la biodiversité semble bien nous entraîner dans cette direction.

En fait ce qui est beau dans un paysage c'est la promesse de découvertes, la présence de ressources et de leurs signes. Chants d'oiseaux dans les buissons et eau qui coule, anyone?



Les Danois veulent des ballerines dans le décor au soleil couchant.

Les photos illustrant ce billet sont des reproductions d'une série de tableaux peints dans les années 90 par Komar et Melamid. Ces peintres les ont produit après avoir sondé les préférences de milliers de personnes dans une dizaine de pays. Dimensions, éléments paysagers, couleurs, présence humaine ou animale. Même la proportion de ciel ou le ratio hauteur/largeur et la composition du tableau final découlent des résultats des sondages d'opinion. 



Pas d'hippo pour les Chinois. Mao remplace les ballerines.

Au-delà de l'aspect kitsch, en-deçà devrions-nous dire encore, il y a une assez étonnante universalité de "goûts", non?

Denis Dutton (9 février 1944 - 28 décembre 2010) nous a quitté (au moment où j'attendais  son livre que j'avais réservé à la Grande Bibliothèque). Il nous laisse un peu plus riche: une nouvelle perspective est ouverte, allons voir.

Voyez cette conférence TED (en anglais): Denis Dutton: A Darwinian theory of beauty


3 commentaires:

  1. Monsieur, pour la première fois depuis que je suis votre blogue, vous me donnez furieusement l'envie de vous remettre à votre place.

    Sachez que les réflexions sur l'esthétisme et le paysage sont depuis longtemps ma chasse gardée. Quiconque aborde le sujet empiète sur mon territoire et, vieux réflexe de mammifère territorial, je protège mon domaine férocement.

    Est-ce qu'un paysage nous conforte dans nos besoins ? Il n'y a qu'à voir dans les parcs les gens se rassembler à l'ombre d'un arbre : j'imagine toujours qu'une tribu d'homo pré-sapiens devait avoir un réflexe similaire. (Et pourquoi ces gens me semblent toujours d'emblée sympathiques ? Vieil instinct grégaire ?)

    Et pourquoi encore, même si une promenade dans le bois n'a rien pour me déplaire, est-ce que j'éprouve un soulagement quand s'ouvre une éclaircie ? Atavisme qui me viendrait tout droit de mes ancêtres sapiens d'Afrique, grands voyageurs à travers la savane ?

    Il y a aussi l'indifférence au paysage : vaste question. Pendant des siècles, la littérature et les arts en général n'y ont prêté aucune attention. Un beau paysage flattait avant tout les instincts du propriétaire : champs bien labourés, vignes bien soignées, bâtiments bien entretenus. L'esthétisme de la pelouse bien tondue doit procéder du même principe. Ah!, mon beau pré carré...

    Signé : Conçu et testé au Pléistocène

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  2. C'est le genre de question que je me pose depuis longtemps (d'où ma réaction d'hier) : l'origine du sentiment esthétique, en particulier face aux paysages et la nature en général. La théorie de Dutton - un «pli» psychologique datant du Pléistocène - me semble tout à fait défendable. Reste à expliquer notre fascination envers des milieux inhospitaliers : les déserts, la montagne, les pôles...

    Je suis surpris, à voir les échantillons «nationaux», par l'omniprésence de l'eau. Indice d'un biais provenant du Dévonien, avant l'apparition des premiers amphibiens ? Mais est-ce que tous les peuples désirent réellement vivre près de la mer ?

    Les montagnes semblent décidément très populaires aussi. Qu’en pensent les habitants du Plat-Pays ?

    Quant à la présence de symboles nationaux (drapeaux, personnages historiques), elle me sidère : vraiment, votre paysage intérieur idéal doit-être représenté à l'ONU ? Quel hippopotamesque manque de goût !

    On peut s'amuser à voir la place laissée au couple ou à la famille selon les nations. Les vacanciers français sont sympathiques, davantage que le Danois au garde-à-vous. Mais pourquoi n’y a-t-il personne, sauf Mao (en peinture) dans le paysage de rêve des Chinois ? Une nation si peuplée fantasme peut-être à propos d'espaces vides ?

    Est-ce que nous avons été interrogés, nous aussi ? Quel est notre paysage idéal ? Y a-t-il de la neige ? Ressemble-t-il à une plage de Floride ?

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  3. Un souvenir jauni

    Vraiment très très étrange, le sujet de ce billet. à méditer...!
    Le propre du paysage (cette fenêtre sur le monde, cette porte sur l'infini) n'est-il pas de représenter le monde extérieur à nous et dans lequel nous évoluons avec une certaine promesse et liberté d'y pénétrer? (cf: une certaine qualité d'une possible réalité du monde extérieur). Il dépeint au moins une projection de et dans ce monde possible... Si nous considérons le paysage comme une représentation intemporelle, c'est qu'il correspond sans doute bien à un moment très privilégié de contemplation. Lorsque la notion de paysage devient un objet représentationel non rattachée à des référents réels, il devient facile de basculer dans un monde où la rêverie revendique son plein droit, le paysage ainsi vécu suscite la contemplation à un autre niveau, surréel celui-là (à apprécier au second degré!...). Il ya quelque chose de très littéraire dans l'art du paysage. C'est un endroit où le faux se confond dans le vrai. Cela rend prédominant son "poétisme", sa surréalité (qui est déjà sous-entendue dans "En fait ce qui est beau dans un paysage c'est la promesse de découvertes, la présence de ressources et de leurs signes. Chants d'oiseaux dans les buissons et eau qui coule, anyone?").

    Dans les synthèse de paysages donnés à voir par Komar et Melamid, ce qui me frappe, ce sont ces références presque embaumées au monde pré-industriel, comme si nous refusions formellement d'admettre l'état actuel du paysage terrestre qui recèle sans doute moins de promesses dans l'ensemble que dans le passé. L'infini a beaucoup rapetissé dans les dernière décennies... Notre inconscient étouffe, il ne peut plus se renouveler dans des aires inconnues. Surexploité par l'ère industrielle, le paysage actuel offre des spectacles désolants. En fait, la possibilité d'un territoire inconnu (une Terre, un Paysage) s'amenuise d'heure en heure... Il y a dorénavant une véritable nostalgie qui s'associe à ces images...

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