Localisation approximative de l'île Sainte-Hélène. Illustration : Roger Latour
L'île de Sainte-Hélène est au milieu de l'Atlantique entre l'Afrique et l'Amérique du Sud. Elle a été à la croisée des voies de navigation des Empires coloniaux des siècles passés. C'est aussi l'île où un Empereur en vacance a pris goût à la saveur très locale d'un café qu'on y cultivait.
L'île a été découverte en 1502 et sa localisation longtemps gardée secrète par les Portugais. Les Anglais la trouvent éventuellement vers les années 1580. Puis les Hollandais arrivent et tentent de prendre possession de l'île. Les Espagnols ne sont pas loin et s'en mêlent. Comme quelques autres îles au milieu des Océans, Sainte-Hélène est un point d'approvisionnement stratégique et indispensable à la navigation de l'époque. La compétition est vive entre les Empires coloniaux pour la possession de ces station-services. Éventuellement ce seront les Britanniques qui en deviendront les maîtres vers la fin du 17e siècle et depuis ce temps, c'est God Save the Queen.
Un café d'Empereur : à 220$ le kilo ces quelques grains valent 1.15$. 3 sous le grain…
Photo : Roger Latour
Photo : Roger Latour
L'île d'origine volcanique de 50 miles carrés (128 k carrés) a un climat sub-tropical et est montagneuse, le sommet (Diana's Peak) culmine à plus de 800 mètres. L'endroit est en fait excellent pour la culture du café. D'après les archives de la East India Company c'est en 1732 qu'on a rapporté des graines de café et qu'on les a planté ici. Les graines venaient de Mocha (Moka) au Yémen sur la Mer Rouge. La variété dont il est question est le Green tipped Bourbon Arabica. Le Yémen est la source des nombreuses variétés de café cultivées partout au monde mais ultimement, toutefois, c'est du Sud-Ouest de l'Éthiopie que vient le petit arbre Coffea arabica qui donnera le type de café que l'on nomme Arabica dans le commerce. L'étude récente des séquences génétiques appuie toujours le fait que cette espèce est elle-même à l'origine un hybride entre C. canephora et C. eugenioides, deux espèces africaines. Le C. canephora est quand à lui ce qu'on appelle le café type Robusta.
Fulgence Girard, Le Monde illustré, 1858. Kolorama© Roger Latour.
La particularité du café de Sainte-Hélène est qu'il provient des vieilles variétés Yéménites cultivées depuis plusieurs siècles. Il est plus près des origines du café donc. L'isolation de cette variété de café sur une île si loin de tout a apparemment préservé son intégrité génétique. Les nombreuses variétés contemporaines sont quant à elles issues de mutations, de sélections ou d'hybridations récentes de l'Arabica exporté et planté partout sur la planète. Boire aujourd'hui ce café c'est la chance de faire un véritable voyage dans le temps. Et nous sommes en bonne compagnie.
Napoléon, Nabab de Sainte-Hélène et Dinuzulu kaCetshwayo, roi Zoulou
Photo : Roger Latour, Kolorama© Roger Latour.
Photo : Roger Latour, Kolorama© Roger Latour.
Le popularité du café de Sainte-Hélène a connu des hauts et des bas et il avait bénéficié d'une grande réputation, en France surtout, à l'époque où Napoléon y a vécu son exile à partir de 1815 jusqu'à sa mort en 1821. Bonaparte n'a pas été le seul Grand Chef exilé ici : le Roi Zoulou Dinuzulu kaCetshwayo, qui avait mené une armée contre les Britanniques en Afrique du Sud, a aussi eu droit à un séjour tout inclus ici. S'il est connu que Napoléon appréciait grandement le café, l'histoire ne nous dit pas ce que le beau Zoulou en pensait.
Avec le temps toutefois les quelques plantations de café furent abandonnées et la forêt a repris ses droits. Jusqu'à ce que David Henry entreprenne dans les années 1990 de retrouver les sites de culture et les arbres, de débroussailler, de transplanter des sauvageons et de semer à nouveau, tirant de l'oubli la culture évanouie du café sur l'île. La Island of St. Helena Coffee Company ne produit aujourd'hui qu'environ 12 tonnes de café, les grains étant choisis un à un selon leur maturité, quand la cerise est bien rouge. Le seul engrais utilisé est le guano abondant sur l'île et l'eau pure qui descend des montagnes.
Ces méthodes peu productives combinées aux grandes distances et aux limitations du transport expliquent le prix élevé de la commodité. Avec 2.44 million de tonnes métriques en 2009 la production de café du Brésil devance un peu celle de Sainte-Hélène. Le café brésilien est aussi un peu moins cher...
Fulgence Girard, Le Monde illustré, 1858. Kolorama© Roger Latour.
Nous le savons tous, la géopolitique influe sur notre table. Avec la réactivation du dossier des Malouines entre le Brits et l'Argentine un effet inattendu sera la construction d'un aéroport sur l'île Sainte-Hélène. Je sais pas très bien où ils vont réussir à installer ça mais la longue et profonde isolation de l'île sera un peu modifiée. Gageons que le café prendra l'avion dorénavant. Peut-être sera-t-il moins cher? God Save the Queen...
Le café de Sainte-Hélène n'est peut-être pas le Kopi Luwak mais y goûter c'est un peu comme être sur une terrasse de l'île donnant sur le grand vide Atlantique. Assis nous contemplons et humons les voyages et les guerres, les naufrages et les découvertes, les impériales fortunes ou les terribles effondrements de la riche histoire derrière chaque saveur qui fait notre quotidien.
Lest we forget.
'Lest We Forget' forme le refrain du poème 'Recessional' composé par Rudyard Kipling à l'occasion du jubilée de diamant de la reine Victoria en 1897. Ces trois mots avertissent des dangers de l'orgueil extrême et de l'inévitable déclin du pouvoir impérial.
RépondreEffacerTrès beau post, Roger
merci, ça fait rêver et la palette de couleur des Koloramas est délicieuse.
La phrase est utilisée un peu partout (cérémonies du Jour du Souvenir, etc), toujours en rappel de la mort. Un épitaphe qui est invisible dans notre garde-manger... L'exotisme peut avoir un côté moins sucré.
RépondreEffacerMerci du commentaire mimi!