vendredi 3 juin 2011

Laurentides anthropiques




C'est un pit de sable et je suis attaché depuis l'enfance à ces lieux et à cet anglicisme (sand pit) qui signifie la sablière. Construction, voirie, abrasif de déglaçage, le sable est une ressource importante. Les Laurentides étaient hautes comme l'Himalaya il y a 900 million d'années. L'érosion aura laissé du sable partout sous la forêt. Beaucoup de sable…

La forêt laurentienne mixte est immense mais il faut chercher longtemps pour en voir un (petit) bout qui n'a pas connu la hache. Au début du 19e siècle «C'étaient les puits de pétrole de cette période» selon André Bouchard et on brulait le meilleur : érable à sucre, merisier, hêtre. Devant le blocus de Napoléon l'Empire Britannique a besoin de bois pour son industrie  et sa flotte navale : et hop les grands chênes et les hauts pins blancs du Canada… Trouver de grands et vieux spécimens de tous ces arbres est donc très rare.




Puis, après la cueillette sélective des pins blancs par exemple, la grande forêt a été essentiellement coupée à blanc. Faut se chauffer. Ce sont donc toujours des forêts anthropiques que nous voyons. Elles sont maintenant ponctuées de pits de sable qui deviennent des éléments paysagers caractéristiques des Laurentides et des habitats riches en biodiversité. Certaines de ces forêts secondaires sont en perpétuelle régénération, comme dans les pits de sable toujours en activité. La forêt laurentienne est y est devenu comme un grand terrain vague massivement colonisé par les arbres pionniers et c'est bien ce que l'on voit quand on y est : un paysage en constante élaboration.

On nomme écotone la rencontre de deux types d'habitats. La zone de rencontre et de transition entre une forêt et une tourbière ou un pré et un ruisseau par exemple. C'est dans les écotopes que l'on trouve la plus grande biodiversité. Hors ces écotones laurentiens sont au point de rencontre de deux milieux anthropiques : les forêts secondaires et les sablières, milieux anthropiques à n'en pas douter. Ce sont non seulement des paysages nouveaux en élaboration instable mais aussi des écologies inouïes qui s'y développent. Pour le meilleur et le pire…


 Un pit de sable au repos, sans activité depuis une décennie.


Ailleurs les nombreux amélanchiers et même les viornes sont favorisés par les ouvertures que nous pratiquons dans les paysages. Ces arbustes affectionnent les ouvertures naturelles le long des cours d'eau. Les routes, chemins et sentiers que nous avons fait semblent bien leur convenir. Quelles espèces végétales et animales sont favorisées par ces écotones des pits de sable? Les orchidées du genre Spiranthes par exemple! Si notre industrie a un coût pour la biodiversité il y aurait aussi certains bénéfices. Un choix se fait. Je ne tiens pas la balance magique qui me permettrait de faire une analyse coûts/bénéfices satisfaisante. Mais l'ensemble de nos comportements industrieux pour satisfaire notre consommation ne semblent pas s'infléchir significativement... et la nature que nous aurons ressemblera à nos comportements.

C'est la faute à Napoléon.


2 commentaires:

  1. La biodiversité, une équation relativiste:
    -1 [le dernier Pin blanc]
    +1 [Peuplier faux-tremble]
    +1 [Amélanchier]
    =
    +2[localement] et -1[mondialement]

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  2. «Les Laurentides étaient hautes comme l'Himalaya il y a 900 million d'années. L'érosion aura laissé du sable partout sous la forêt. Beaucoup de sable…»

    Il y a un petit problème avec ce passage de votre exposé, du moins dans la seconde phrase de l'extrait cité. L'érosion des Laurentides avait déjà atteint un degré très proche de son degré actuel il y a déjà 500 milllions d'années. Depuis, les circonstances de l'évolution géologique ont davantage préservé qu'éprouvé cet antique relief.

    Les pits de sable des Laurentides sont un leg de la dernière glaciation (80 000 - 10 000 ans), laquelle s'est contentée surtout de poncer les reliefs – tout en creusant plus profondément à certains endroits. (La croyance populaire qui attribue aux glaciers un raclage en profondeur du continent est fausse.) Ces petits pits sont pour la plupart des dépôts fluvioglaciaires laissés sous ou devant les glaces en retrait (eskers ou plaines d'épandage), d'anciens deltas édifiés dans la mer de Champlain ou, même, les reliques d'anciennes plages de cette étendue d'eaux marines.

    La preuve de ce que j'avance : essayez de reconstituer les Laurentides «himalayennes» d'il y a 900 millions d'années en recollant tous les grains de sable et les cailloux qui jonchent le paysage. Vous me montrerez le résultat de vos efforts !

    ;)

    Bref, les arbres des forêts actuelles enfoncent leurs racines dans un sol que nous avons hérité de la dernière glaciation. Quant aux pits de sable de votre enfance, ils sont en réalité tout jeunes, à peine un peu plus de 10 000 ans !

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