Puisque c'est le temps des citrouilles, je republie ce billet de novembre 2009 avec augmentation, correction, complément, etc.
L'automne est bien avancé déjà! C’est peut-être ma dernière occasion de visiter la voie ferrée et d'herboriser. Je suis venu chercher des graines d’Euphorbiacées pour l’étude de la myrmécochorie.
Les plantes de cette famille sont connues pour avoir des graines dont la dissémination (chorie) est assurée par les fourmis (myrméco…). Je cherche donc des fruits de Euphorbia davidii et Chamaesyce nutans qui ne pousse qu’ici dans le ballast, cet artificiel désert. On trouve aussi ici le bien plus commun Chamaesyce maculata qui pousse par contre un peu partout ailleurs où c'est sec. Ma recherche de spécimens a toutefois vite tourné en une aventure peu banale! Et ce sont de bien étranges fruits qui m’attendent...
Mon regard est interpellé par quelques chose d'inhabituel dans les arbres contre la clôture. Ce sont de bien curieux appâts qu’on a bizarrement coincé dans ces branches. Pomme, poire et prune… en bon état, à hauteur d’homme… Ce sont peut-être les fruits d'un cérémonial païen célébrant le temps de la récolte? Quelle époque! Les dieux ont été évacué pour un paganisme général qui ne vaut guère mieux. Je n’ai rien apporté à croquer ou à boire mais il vaut mieux être prudent, ce n’est sûrement pas pour moi ces fruits!
Un
cri de faucon attire alors mon attention: je me tourne et c’est un
Faucon émerillon (Falco columbarius) qui s’envole. Il est ensuite resté un bon
moment perché au-dessus de ce petit terrain vague à côté de la voie
ferrée.
Je reprend ma marche mal-aisée dans la pierre inégale du ballast quand
au loin j'aperçois quelque chose qui bouge dans le ballast. Mais qu'est-ce que c'est? Je me presse un peu et en me rapprochant cela ressemblait à un drôle d'oursin
mais en tout mou… dé-ambulant (c'est le cas de le dire tant la dé-marche est maladroite) en tremblotant, faisant onduler les curieux appendices qui couvrent son corps… La chose semble elle aussi avancer péniblement dans les cailloux.
Je crois reconnaître mais j'hésite un instant à nommer la bête… Mais oui! Quelle chance! Je crois
bien qu’il s’agit de l’oursin des rails (Molliderma canularis), un de
ces animaux tellement rare et étrange qu’on a peine à croire qu’ils
existent vraiment! Je n’ose pas trop m’approcher de peur de le faire fuir.
Cette bête appartient à l’embranchement
des Mollidermes (Mollidermata, "à peau molle") qui ne compte que très peu d’espèces, presque
toutes dans l'archipel de Nouvelle-Calunarie*. L’oursin des rails est en fait la seule espèce
que l’on trouve en Amérique du Nord. Aussi appelé oursin des ballasts,
l’animal est très rarement observé. L'espèce a été originalement décrite par Constantine Samuel Rafinesque-Schmaltz en 1828. Comme les spécimens du naturaliste ont été perdu quelques années plus
tard dans un incendie suspect, tout le monde croyait à une mystification comme
le 19e siècle en a produit plusieurs (ici et ici). Ce n’est qu’en 1893 que la très rare
créature fût à nouveau observé au Delaware. Les nouvelles observations ont été très rares depuis et
son histoire naturelle demeure presque totalement inconnue. De quoi se
nourrissent ces animaux? Comment se reproduisent-ils? Sur la photo ci-haut on
voit l’oursin mou “courir” (pour ainsi dire) en direction de cette citrouille.
Incroyable!
l’oursin des rails semble assurément intéressé par la cucurbitacée
et tourne autour en grognant! Puis il se met à mordre le gros fruit! Voilà un signe d'intérêt qui ne laisse plus aucune place au doute. Bien que je suis témoin d'une scène aussi imprévue qu'effroyable, je dois me ressaisir afin de documenter l'événement. L'animal se nourrit donc de citrouilles! Voilà
qui explique peut-être pourquoi toutes les observations sont faites tard à l’automne.
Le monstre
est vorace! J’imagine que les occasions de se nourrir sont rares (je
n’ai en effet pas souvent trouvé de citrouilles sur la voie ferrée).
Avouez que c'est une bien curieuse adaptation alimentaire. On comprend la rareté de l'oursin des rails. Comme la citrouille est pleine de bêta-carotène, la peau de l'oursin prend cette couleur imitant selon plusieurs la carotte ou l'orange... Il est intéressant de noter que cette couleur si voyante dans la grisaille de la voie ferrée devient un parfait camouflage dans un autre contexte. Cela explique peut-être qu’on ne
le remarque pas le molesque* sur les trottoirs où les citrouilles pulluleront en ce
temps de l’année.
Voilà peut-être enfin l’explication du fait que l’oursin des rails semble n’être actif que tard à l’automne. Il faut supposer que l’utilisation de la citrouille à la fête de l’Halloween a probablement favorisé sa survie en milieu urbain. Mes photos montrent qu’il se nourrit aussi d’autres fruits dont la présence sur la voie ferrée reste à expliquer. Un autre naturaliste est peut-être occupé à étudier la bête? Ou s'agit-il d'un commerce illicite d'espèces rares?
Il semble donc possible que des gens appâtent les oursins. La méthode est en partie douteuse, les oursins ne grimpent jamais aux arbres. Placés sur la voie ferrée les fruits semblent faire l’affaire toutefois. Et cela indique aussi que je ne suis pas le seul à connaître la bestiole. La solitude du naturaliste urbain trouve enfin un rare soulagement.
Babar, l'éléphant du Parc LaFontaine d'autrefois. Photo: Archives de la Ville de Montréal.
Un fait mérite d'être connu par tous: les espèces de Mollidermes partagent avec les Pachydermes une passion déraisonnable pour les citrouilles. Vous voilà prêt à attraper des éléphants! Aucune donnée ne permet toutefois d'impliquer les Mollidermes ou les Pachydermes dans la dissémination des graines de citrouille. Comment toutes ses graines de Cucurbita arrivent-elles à voyager d'un bout à l'autre du continent?
C'est un autre mystère!
*ne pas confondre avec la Nouvelle-Canularie qui se trouve dans un tout autre océan.
**francisation de l'espagnol Mulesca utilisé pour une espèce voisine aux Philippines.