Nous n’avons même pas songé à chercher les trous... (vue vers la partie nord)
J’ai tardé à pondre ce billet sur Meadowbrook... je le voulais un peu plus complet quant à l’analyse historique du paysage. Mais je ne trouve pas toutes les cartes ou documents dont j’ai besoin et nous devrons tous patienter pour plus de substance. Je partagerai aujourd’hui quand même quelques notes. Je n’ai pas de goût particulier pour les terrains de golf: ce sont des immenses hold-ups paysagers si vous voulez mon avis! Il arrive toutefois, par toutes sortes de hasards, qu’un terrain de golf se trouve avoir conservé un bout de territoire des plus intéressants. Et c’est le cas du Meadowbrook avec ses 57 hectares d’espaces verts.
Une première aubépine (Crataegus sp.), couverte de vignes vierges.
Le terrain de golf Meadowbrook est à cheval sur deux arrondissements: 31 ha Côte-Saint-Luc–Hampstead–Montréal-Ouest et 26 ha dans l’arrondissement de Lachine. Le club de golf loue le terrain du Canadien Pacifique, propriétaire avec ses filiales depuis 1917. À l’origine c’était un club de loisirs pour les employés du CP (Canadian Pacific Recreation Club) puis le site a été transformé en golf dans les années 1930 ou 40. Par un de ces délicieux aphorismes on songe maintenant à le mettre en valeur par la construction d’immeubles à condos. La disparition c'est toujours une idée payante.
Le diamètre à 1,40m atteint 227 cm. Le plus gros spécimen que je connaisse.
Déjà le spectacle de ces aubépines, même complètement défeuillées, vaut amplement le déplacement. C’était une terre agricole ici il y a une centaine d’années et il ne fait pas de doute que certaines des aubépines soient en fait centenaires. À mon sens aucun arbre, sauf peut-être l’orme d’Amérique, n’arrive à évoquer de façon aussi emblématique un paysage en disparition dans notre région: le passé agricole. Chacun si différents d’évocations, ce sont quand même deux arbres compagnons des humains, marqueurs de campagne.
Encore ce gros cenellier (aubépine, Crataegus, etc...) qui nécessite toutefois des soins d’émondage.
Le terrain de golf ne cache que partiellement la trame de l’espace cultivé auparavant. La topographie variée des lieux a été en bonne partie conservée avec peu de remaniement du sol. Il est extraordinaire que deux bras du ruisseau Saint-Pierre soient toujours présents. C’est miraculeux quand on sait que presque tous les ruisseaux et cours d’eau de l’île sont disparus. Il y a aussi une ligne boisée le long d’un fossé, ponctuée d’aubépines, avec une orientation qui diffère de celle des parcours du golf. C’est en toute probabilité un vestige de la terre agricole achetée en 1917. Il ne faut pas perdre de vue que ces haies campagnardes sont tout aussi rares, sinon plus, que les cours d’eau et qu’il est peut-être temps de d’amorcer une réflexion sur leur protection.
Quelques aubépines indiquent le fossé de drainage agricole: une ancienne haie
L’architecte-paysager (et champion de golf) qui l’a dessiné est apparemment
Albert H. Murray (1887-1974). À l’origine de très nombreux terrains au Québec et ailleurs au Canada son travail ici est malheureusement celui qui est le moins documenté. Le terrain s’appelait Wentworth et ne comptait que neuf trou du côté de Lachine (sud, où nous sommes) à l’origine. S’il s’agit bien de ce projet qu’il mentionne dans son journal personnel, Murray écrit qu’il avait en fait dessiné le plan vers 1923 mais ce n’est que dans les années 40 que ses plans furent exécutés sous sa direction. Le club semble s’être appelé le “Montreal West Golf Club”. Tout cela sera à confirmer puisque ça ne concorde pas parfaitement avec les documents produits par Les Amis du Meadowbrook.
De belles aubépines,de part et d’autre du vallon: mémoire retrouvée.
On trouve ici une véritable capsule du 19e siècle avec un rare échantillon topographique intact et vivant portant une haie d’aubépine. Vous voulez que je vous le dise: c’est un monument à préserver! Une rareté biologique et historique sur l’île de Montréal. C’est un élément de paysage patrimonial à restaurer quelque peu surtout avec la présence des écotypes d’aubépines centenaires qui méritent aussi tous les efforts de conservation. On appelle ces arbres des “vétérans” en Angleterre, l’âge, la dimension ou même la présence d’un nid de pic-bois par exemple sont quelques-uns des critères qui suffisent à leur préservation. Quoiqu’il en soit les vieilles aubépines du Meadowbrook rencontrent tous ces critères auxquels on doit ajouter leur valeur paysagère patrimoniale indéniable et l’intérêt biologique de ces arbres: la biodiversité des milieux anthropiques méritent clairement plus d’attention.
Le vallon préservé
La topographie originale conservée du côté sud, les boisés, les milieux humides au printemps, le ruisseau et son tributaire dans un vallon, il y a aussi d’autres éléments intéressants comme l’intrigant mur de pierre qui est aujourd’hui au pied du remblai de la voie ferrée à la limite sud du terrain.
Le mastodonte du Meadowbrook
Je n’ai pas encore parlé de tous les autres espèces intéressantes: un chêne à gros fruits (Quercus macrocarpa, photo ci-haut) lui aussi plus que centenaire avec son tronc au diamètre de 425 cm (mesuré lui aussi par Charles L’Heureux). On semble s’inquiéter de sa santé mais soulignons qu’il a produit quelques rejetons dans le boisé linéaire sud. C’est probablement une bonne illustration de la qualité du sol réputé avoir été très peu remanié depuis le 19e siècle. Outre les érables argentés (Acer saccharinum) et les caryers ovales (Carya ovata), micocoulier occidental (Celtis occidentalis), sureau du Canada (Sambucus canadensis), etc. on trouve aussi des plantes comme l’anémone du Canada (Anemone canadensis) et même le podophylle pelté (Podophyllum peltatum). Cette dernière et certains des arbres sont des indications d’une ancienne présence autochtone.
Vous voulez parler de biodiversité? Ce chêne et ces aubépines ne sont pas que des valeurs patrimoniales esthétiques ou culturelles. Ce sont en plus d’authentiques écotypes montréalais: un patrimoine génétique irremplaçable de la biodiversité locale. C’est aussi ça Meadowbrook.
Un pont entre les cultures?
Nous l’oublions peut-être mais avec Meadowbrook nous avons un élément du
bocage que l’on trouve autant en France, en Normandie, qu’en Angleterre dans le Devon. Le terme n’est pas utilisé ici mais cette forme ancienne d’aménagement du territoire agricole est courante en Europe et de même ce côté-ci de l’Atlantique. L’histoire propre de la colonisation et du partage des terres dans la plaine de Montréal a produit un bocage moins dense et plutôt rectiligne, mais les champs et prairies avec les fossés et chemins les délimitant étaient bordés de haies. L’aubépine en était un des caractères les plus remarquables.
C’est maintenant le temps de quitter les lieux
Malgré mon peu d’affinité(!) pour l’hiver, j’irai à Meadowbrook photographier ces silhouettes propres aux milieux anthropiques ouverts qui ont résisté au temps et abrité tant d’oiseaux. J’ai retrouvé ici le souvenir d’une amitié d’enfance: mon cher cenellier, ma belle aubépine du ruisseau. Il y a cinquante ans mais j’ai encore bien en mémoire sa silhouette étalée accompagnée d’une ombre en vague sur la neige: plein soleil au visage et l’aubépine qui dort dans le vent qui siffle. Retrouver à Meadowbrook un morceau d’enfance? Oui messieurs, dames. Le paysage c’est aussi cela.
Puis il arrivera le mai et les aubépines en fleur pourront commencer à me dire leurs noms. Et de ce moment jusqu’au fruits de l’automne, alors que j’y retournerai, que se passe-t-il? Le feuillage déployé de juillet vaut-il le déplacement? Sûrement. Mais reste à négocier mes passages probablement. C’est un terrain de golf privé...
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