Tout un programme: mais c’est raté!
Afin de favoriser la biodiversité urbaine nous devons ré-examiner nos façons de concevoir et de faire nos aménagements paysagers et autres verdissements. L’utilisation d’espaces résiduels, marges d’infrastructures ou terrains vagues, nous offrent des opportunités uniques de partage de l’espace avec “les autres”, ces centaines d’espèces qui vivent avec nous. En regard des discours officiels sur la biodiversité et vu les limitations budgétaires et la rareté des espaces, nous devons tirer le meilleur parti possible des opportunités qu’offrent ces espaces résiduels. La plus grande difficulté de faire un peu de place à la biodiversité réside en fait dans nos cerveaux. C’est que nos représentations de l’espace vert et de sa vocation manque de discernement: nous oublions qu’il s’agit aussi d‘habitats (réels ou potentiels) pour bien des petites choses...
À partir d’une de ces occasions ratées de création d’un habitat, je vais esquisser quelques façons différentes et écologiquement adaptées afin de mieux rencontrer nos obligations.
Carte localisant la butte de la rue Pauline-Julien
Près du Centre-Ville de Montréal, les rares zones encore “développables” sont habituellement les zones post-industrielles près de la voie ferrée. À la limite nord de l’arrondissement du Plateau Mont-Royal (voyez la carte Google ci-haut) quelques rues dont la rue Pauline-Julien sont nées de la construction de plusieurs grands ensembles résidentiels. Le quartier est très en demande et tous ces gens se sont librement installés devant ce qu’ils considèrent ensuite une horreur: la voie ferrée. Alors on leur a fait (à nos frais publics) un écran de béton sur une butte afin de ne pas trop perturber leur vue et leur qualité vie. Mais comme le béton est encore plus horrible que le chemin de fer on se mit à végétaliser (surtout par la plantation d’arbres) afin de cacher cet affreux mur, un écran cachant un autre écran.
Vue de la rue Pauline-Julien vers l’ouest, fraîchement fauchée.
Une belle grande bande végétalisée et lentement enrichie d’espèces spontanées, dont tout le catalogue des “mauvaises herbes” de la voie ferrée (et bien d’autres choses...) s’installe sur l’espace nouvellement créé. Mais voilà: des résidents se plaignent ensuite de toute cette végétation sauvage et des dangers (?) que cela représenterait. “C’est pas propre!”. "Ya des voleurs qui s’y cachent”, etc. Les services municipaux ont les mêmes représentations sur la nature en ville. Faut que ce soit propre! Faut rectifier! Ils vont alors au-devant des “besoins” des résidents et agissent. D’une main ils plantent des affiches annonçant que dorénavant on fait place à la nature, et, de l’autre passent la faucheuse sur tout l’ensemble. Assez perplexant! Non?
Un des nouveaux ensembles immobiliers, style “maison de ville” je crois.
Il y a en fait tout un ruban de nature potentielle sur ces bandes de terrains le long de la voie ferrée de la rue Saint-Denis jusqu’à la rue Papineau, et c’est plus d’un kilomètre de butte-écran qui a été ouvragé. Ce sont donc des fonds publics qui, par du grand terrassement puis du verdissement, subventionnent et maintiennent la valeur immobilière de ces habitations. Il faut probablement voir ici une formule qui compte sur un retour éventuel en taxes foncières de l’investissement public. Ça fait donc l’affaire de tout le monde. Dossier réglé!
C’est comme ça, je ne peux rien ajouter! Sauf ce qui suit: nous manquons ainsi l’occasion de faire d’une pierre deux coups! Nous avons collectivement des discours et des engagements envers la biodiversité. Nos verdissements des espaces résiduels puis leur gestion doivent en tenir compte. Des fonds publics ont permis ces travaux et il est possible de satisfaire le besoin d’un écran pour ces résidents tout en remplissant nos obligations envers la biodiversité. Nous devons enrichir ces plantations avec des espèces à haute valeur écologique: nectar pour les abeilles, fruits pour les oiseaux, etc. En masse! Avec générosité!
Bêtement plantés sur deux rangs, 4 ou 5 espèces d’arbres. À quoi bon?
Il faut surtout augmenter l’expertise de nos services d’horticulture en la matière: suffit-il vraiment de planter 4 ou 5 espèces d’arbres pour se mériter le label “biodiversité”? Il faut aussi faire un peu d’éducation à la tolérance (au minimum...) de la part des voisins de ces nouveaux habitats. Ce sont après tout des infrastructures publiques d’une utilité certaine: qu’ils en prennent note! Qui se plaindrait d’avoir une vue sur un parc ou le mont Royal et d’entendre des oiseaux... et de voir ainsi la valeur de sa propriété augmenter?
La géométrie orthogonale est peut-être la meilleure pour les humains... mais certainement pas pour la biodiversité. La photo ci-haut nous montre un paysagisme de catalogue sans aucun effort, aucune imagination ou générosité. Les besoins d’un site naturalisé sont distincts des besoins d’un ensemble d’habitation. La routine d’une plantation rectiligne a peut-être sa place dans un environnement formel comme un parc ou un ensemble d’immeubles. Mais elle est assez incongrue dans une zone où c’est la biodiversité qui est visée. Il n’y a par exemple que les espèces d’oiseaux les plus communes (étourneaux, pigeons et moineaux), parfaitement habituées aux humains et capables de se débrouiller avec ces drôles “d’installations” qui viendront ici. Les autres éviteront. La faible diversité des oiseaux vous étonnent? Quelle place leur fait-on? Déjà de l’autre côté de ce mur sur la voie ferrée la diversité des oiseaux est plus grande...
Planter des arbres comme on dessine des rues...
Même le choix des espèces d’arbres me laissent perplexe. On y planté des érables de Norvège et des marronniers glabres, des micocouliers et des cerisiers ‘Schubert’, des frênes et quelques pins. Ce ne sont certainement pas des choix en fonction de l’indigénat qui ont été fait. Alors pourquoi de pas inclure des espèces à croissance rapide et parfaitement adaptée au milieu urbain? Ou conserver les arbres qui s’installent tout seul... Ce qui ne convient pas sur un trottoir ou un parc mérite certainement une sérieuse reconsidération dans un milieu en “naturalisation” comme cette butte. Source d’économie assurée (combien coûte une graine d’érable à Giguère, de frêne, de peuplier, etc.?) et effet immédiat... Un érable à Giguère croît jusqu’à 2 m et plus en une saison... Les cerisiers de Virginie s’installent tout seul, les frênes arrivent rapidement aussi, et les peupliers, etc. Je ne parle même pas des impacts positifs, de ces fameux services environnementaux gratuits (vraiment gratuit dans ce cas) que fournissent rapidement ces arbres. L’économie qui en découlerait permettrait l’achat d’arbustes à fruit et d’espèces herbacées vivaces. Why not?
Et pourquoi ne pas planter de sorbiers sur nos buttes?
Comme chez cet ensemble de condos où on a apparemment choisi les arbres (des sorbiers des oiseleurs, Sorbus aucuparia) en fonction de la couleur des fruits qui s’agencent avec la couleur de la brique... Choisir en fonction de critères esthétiques ou écologiques, selon une différenciation du site n’est pas une mauvaise idée. Une classification de tous nos espaces verts est souhaitable. Si le promoteur à travers un paysagiste a pensé à planter ces arbres, comment se fait-il que personne n’y ait pensé pour la butte? Les sorbiers sont trop petits? Ils font de sales fruits sur le trottoir? Ils ne vivent pas longtemps? Et quoi encore? Ce sont des critères peut-être pertinents pour une plantation sur un trottoir mais dans un “site de verdissement écologique” c’est à côté de la plaque. Le merle américain s’en fout. Pour lui tout cela est bon.
Le marronnier glabre (Aesculus glabra) pour qui ce beau jaune? Pour la biodiversité?
C’est un choix assez douteux que d’introduire des espèces en fonction de critères esthétiques. Le choix de cultivars aussi est une solution facile. Même les troncs sans branches des arbres standards de la pépinière, nécessité sur un trottoir, sont totalement incongrus dans un site de “naturalisation”. Un autre détail à examiner!
Prenons maintenant le cas du marronnier glabre ci-haut. C’est un arbre non-indigène et ses fruits attrayants pour les enfants (parce qu’ils ressemblent à des châtaignes ou “marrons”) sont toxiques. Mais comme il a de belles fleurs au printemps et de belles couleurs automnales il est jugé “acceptable”. Il est étonnant que des critères esthétiques permettent sa plantation malgré sa toxicité et son non-indigénat. Alors que l’érable à Giguère (Acer negundo) ou le robinier faux-accacia (Robinia pseudaccacia) eux aussi non-indigènes, mais utiles à la biodiversité et tolérant du milieu urbain, avec une croissance rapide, ne se voient pas accorder le même respect: ils sont jugés indésirables! Les critères utilisés me semblent bien obscurs... Ou improvisés! Ad hoc!
Un pin, d’accord. Et des viornes, des aulnes, ou des cornouillers, pourquoi pas?
Le paradigme “espèces indigènes” ne conduit même pas à choisir un arbre-emblématique de l’île de Montréal, de son écologie et de son histoire: la simple et magnifique aubépine, le glorieux cenellier (Crataegus spp.). Ses épines sont-elles plus dangereuses que les fruits toxiques du marronnier glabre? La butte dont il est question ici n’est pourtant pas aménagée pour la circulation humaine. Pourtant l’aubépine est probablement le petit arbre le plus utile à la biodiversité: site de nidification recherché par de nombreuses espèces d’oiseaux, fleurs à nectar au printemps, des dizaines d’espèces d’insectes de tous ordres le fréquentent et s’en nourrissent, des petits mammifères grignotent son écorce, etc. Ses fruits sont de plus une importante nourriture d’automne et d’hiver pour les oiseaux et petits mammifères. L’arbre-roi couronné par l’ensemble de la biodiversité! Épines comprises! Alors, nous en plantons?
Nous disons faire pour la biodiversité mais nous plantons des espèces qui ne conviennent qu'à nos goûts!
Peinture murale de Caroline Grosd’Aillon dans l'entrée du plus récent immeuble.
La peinture murale ci-haut pourrait être une aubépine en fleur! Préférons-nous une représentation de la nature dans l’entrée d’un immeuble à cette même nature en vrai juste en face?
Si nous souhaitons être jugé favorablement en regard de nos discours sur la biodiversité il faut en arriver à une gradation de ces choix en fonction du contexte: s’agit-il d’un trottoir, d’un parc de détente ou d’un milieu “naturel”? Le choix des plantations est ainsi plus rationnel et une gestion différenciée de l’entretien de ces espaces peut être mise en place.
Le champ est ouvert pour la création d’habitats riches pour la biodiversité en milieu urbain. Il faut pour cela se départir du regard anthropocentriste (esthétique et autre) que nous avons. Si vous êtes une mésange qui pèse quelques grammes vous aimez la sécurité que représente un branchage touffu. Vous aimez aussi une variété d’espèces végétales offrant une variété de ressources: abri, matériau pour le nid, plus grande diversité d’insectes ou de fruits, etc. Ce qui convient à cette mésange est à peu près exactement le chaos qui nous fait tant horreur, le bordel qui nous fait craindre un impact négatif sur la valeur foncière de notre domicile. Il s'agit d'une simple méconnaissance.
Une vue sur la nature du Mont Royal a un impact “positif” sur la valeur foncière (et la qualité de vie...) partout autour. Pourquoi cela devient-il un facteur négatif sur la rue Pauline-Julien ou ailleurs?
La butte “naturalisée” de la rue Hélène-Baillargeon, près de Saint-Denis. Effrayant?
Il est craindre que la butte de cette autre section (la première construite en fait) portant le nom de rue Hélène-Baillargeon, connaisse le même sort que celle de la rue Pauline-Julien: une rectification majeure s’en vient. Sur cette vue d’ensemble nous avons une idée de ce que serait devenu les sections “corrigées” par la fauche sur Pauline-Julien.
Le même style paysager (!?) avec une plantation des arbres sur deux rangs: à l’arrière-plan contre le mur de béton des tilleuls (dont les feuilles tourneront au jaune bientôt) et devant des cerisiers “Schubert” (encore ce foutu rouge!). La densité de la végétation s’explique par les plantations de vivaces à l’origine. Mais il faut aussi constater que toute la flore de la voie ferrée s’est ammenée à son tour. Il y a donc de tout! Framboisiers, carottes sauvages, onagres, vignes des rivages, verges d’or et asclépiades, vinaigriers et verveines, herbe à poux et eupatoires. De tout! Et j’en oublie... Ce qui suit surtout....
Cette jeune aubépine vaut cent cerisiers ‘Schubert’. Va-t-on la protéger?
Il y a même une rareté des plus intéressantes: une jeune aubépine spontanée. C’est que nous sommes à 200 m de la seule aubépine sauvage (Crataegus canadensis) qu’il reste dans l’arrondissement! J’ai le spécimen (qui est mal en point) à l’oeil depuis quelques années et c’est un écotype montréalais à préserver à tout prix. Vous croyez que sa trop rare progéniture survivra au travail des employés de l’arrondissement?
Le nettoyage s’en vient-il? Ce serait une perte cruelle!
Les fruits de la dernière aubépine sauvage du Plateau?
La place à la biodiversité urbaine est-elle si difficile à accommoder? La plus grande difficulté réside dans nos têtes. Ai-je semé une graine en terre fertile?
SAUVONS L'AUBÉPINE!